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đŸ‘ïž Cristian Mungiu, portraitiste d’une Roumanie en transitions

  • Photo du rĂ©dacteur: Marie-OcĂ©ane Decriem
    Marie-Océane Decriem
  • 10 juil. 2021
  • 6 min de lecture

Cristian Mungiu a 53 ans. Il est nĂ© en Moldavie roumaine, dans la ville de Iași. C’est un scĂ©nariste, rĂ©alisateur et producteur roumain Ă  succĂšs, qui s’est vu dĂ©cerner des prix prestigieux pour son cinĂ©ma puissant, symbolique, voire engagĂ©. Adepte des plans sĂ©quence et Ă  la recherche d’un grain particulier sur ses prises de vue, il puise dans les travers de son pays, matiĂšre Ă  produire des films de sociĂ©tĂ© brillants.


© Dan Beleiu

Le cinéma roumain brise ses chaßnes et agrippe un porte-voix


Vu d’Occident, le cinĂ©ma roumain est souvent qualifiĂ© de peu prolifique, puisqu’il donne naissance Ă  une vingtaine de films par an contre une moyenne de 235 pour les films français. Cependant, le cinĂ©ma roumain, dĂ©jĂ  rare par sa naissance, l’est plus encore par sa diffusion puisque seuls sept de ces 20 films sont ensuite distribuĂ©s en France. Cette mĂ©connaissance du cinĂ©ma roumain n’a pourtant pas entravĂ© la carriĂšre et le succĂšs de Cristian Mungiu dans le reste de l’Europe.

Quelques mots sur le dĂ©veloppement du cinĂ©ma dans ce pays situĂ© aux confins de l’Europe. AprĂšs la Seconde Guerre mondiale, le cinĂ©ma devient une arme pour la dĂ©mocratie populaire naissante, placĂ©e dans le camp soviĂ©tique. De nombreuses salles de cinĂ©ma sont créées afin de diffuser la parole officielle du rĂ©gime : les cinĂ©astes ont interdiction de mettre en scĂšne la vie quotidienne et doivent demander une approbation pour traiter des faits historiques ou adapter des Ă©crits littĂ©raires. Au fil des annĂ©es, Nicolae Ceaușescu accroĂźt son contrĂŽle sur l’image et le son, autorisant uniquement la diffusion de ses discours, que ce soit Ă  la tĂ©lĂ©vision nationale ou sur les Ă©crans de salles de cinĂ©ma. À la chute du dictateur, un nouveau cinĂ©ma voit le jour et s’émancipe progressivement des carcans qui lui sont imposĂ©s depuis un demi-siĂšcle. À contre-courant de la vague d’exil massif qui traverse le pays, certains cinĂ©astes dĂ©cident alors de rester en Roumanie pour Ă©voquer les Ă©volutions de leur pays avec ce frisson d’authenticitĂ© qui les rend terriblement Ă©mouvants. Parmi ceux-lĂ , Cristian Mungiu.

Le cinĂ©ma roumain raconte Ă  la fois un pays – dont le mode de fonctionnement Ă©tonne au regard de la norme imposĂ©e par les pays de l’Ouest de l’Europe – et un regard, celui d’une gĂ©nĂ©ration de femmes et d’hommes qui ont vĂ©cu les derniĂšres annĂ©es de la dictature et les premiĂšres annĂ©es de libertĂ© marquĂ©es par une trĂšs forte crise Ă©conomique. De nombreux thĂšmes sociaux le traversent, toujours abordĂ©s dans un style direct, souvent humoristique et parfois sarcastique, voire carrĂ©ment noir.


Cristian Mungiu, assaisonneur aguerri de tension et d’ironie


AprĂšs avoir Ă©tudiĂ© la littĂ©rature anglaise et amĂ©ricaine ainsi que la rĂ©alisation cinĂ©matographique en Roumanie, Cristian Mungiu rĂ©alise son premier film, Occident, en 2002. Narrant l’histoire d’un couple qui se retrouve sans-abri et cherche obstinĂ©ment des signes dans son quotidien dĂ©suet, il est remarquĂ© Ă  la Quinzaine des rĂ©alisateurs.


En 2007, 4 mois, 3 semaines, 2 jours (4 luni, 3 săptămĂąni și 2 zile) reçoit la Palme d’Or au Festival de Cannes, ainsi que le Prix de l’Éducation Nationale, le Prix du rĂ©alisateur europĂ©en et le Prix du meilleur film europĂ©en. GrĂące Ă  la mise en place d’un cinĂ©ma itinĂ©rant sous forme de caravane, ce film a Ă©tĂ© vu par plus de 90 000 spectateur·rice·s en Roumanie.

Nous sommes en Roumanie, en 1987, dans les derniĂšres annĂ©es du rĂ©gime personnifiĂ© par la figure de Nicolae Ceaușescu. Le pays manque de tout, gangrĂ©nĂ© par la corruption. Un monde gris, terne, pluvieux oĂč chacun s’arrange comme il peut pour survivre, sans attendre beaucoup de joie d’un quotidien hyper-contrĂŽlĂ© oĂč rien ni personne ne doit sortir du rang. Otilia doit aider sa colocataire et amie, Găbița, Ă  avorter clandestinement. En effet, l’avortement est trĂšs strictement rĂ©glementĂ© depuis 1966, par le dĂ©cret n°770, dans le cadre d’une politique nataliste coercitive vouĂ©e Ă  assurer le poids du pays sur la scĂšne internationale. Seules les femmes dont la vie serait mise en danger par la grossesse, ayant plus de 45 ans, ayant dĂ©jĂ  donnĂ© naissance Ă  4 enfants dont elles ont la charge, ayant subi un viol ou un inceste ou prĂ©sentant des invaliditĂ©s physiques ou psychiques graves Ă©taient autorisĂ©es Ă  dĂ©buter des dĂ©marches mĂ©dicales et judiciaires pour obtenir le droit d’avorter. C’est donc un sujet particuliĂšrement sensible, le droit des femmes Ă  disposer de leur corps, que traite ce film de 1h48 qui raconte moins de 24h00 dans la vie de deux jeunes Ă©tudiantes ballottĂ©es par l’Histoire. Au cƓur de l’intrigue, le devoir moral qu’Otilia s’impose par amitiĂ© pour Găbița, trop faible pour mener Ă  bien son avortement seule face Ă  un faiseur d’anges clandestin et potentiellement malintentionnĂ©. Un film dans lequel la souffrance et la violence sont crues ; dans la Roumanie des derniĂšres annĂ©es du communisme, tout se paie et Otilia va en vivre la cruelle expĂ©rience.


« Une femme m’a parlĂ© d’une amie Ă  elle, qui Ă©tait tombĂ©e enceinte dans les derniers moments du communisme. Comme elle devait se marier, cela n’était pas vraiment un problĂšme. Mais elle s’est fĂąchĂ©e avec son fiancĂ© et elle a rompu. Or une grossesse hors mariage Ă©tait inconcevable. Elle a cherchĂ© quelqu’un pour l’aider Ă  avorter. Personne n’avait suffisamment de courage pour le faire : dans un village, oĂč tout le monde connait tout le monde, il fallait faire encore plus attention. Elle a fini par trouver un type, qui a sorti deux bidons. Le premier contenait de l’eau, le second de l’acide. Il lui a dit : « Si tout se passe bien, vous repartirez sur vos deux jambes. Mais si ça foire, je verserai de l’acide sur votre corps et personne ne pourra vous identifier. Je prĂ©fĂšre vous prĂ©venir : c’est Ă  vous de dĂ©cider. » Elle a malgrĂ© tout choisi de continuer
 »


Entretien entre Cristian Mungiu et Yves Alion, Paris, 2007.



En 2009, Cristian Mungiu co-rĂ©alise Contes de l'Ăąge d'or (Amintiri din Epoca de Aur), un film divisĂ© en 6 chapitres qui narre avec beaucoup d’humour et de dĂ©rision le quotidien des Roumains durant les annĂ©es communistes, fait de galĂšres et de petits arrangements. L’affiche du film annonce le ton, arborant fiĂšrement une citation de Georges Marchais, ancien SecrĂ©taire du Parti Communiste Français de 1972 Ă  1994 : « Le bilan des pays communistes est globalement positif ». Ce film, particuliĂšrement rĂ©ussi car d’une ironie mordante, illustre des situations cocasses nĂ©es de la corruption systĂ©mique qui gangrĂšne le rĂ©gime communiste : on y dĂ©couvre les consĂ©quences du passage d’un dignitaire dans un petit village tranquille, les magouilles d’un couple d’escroc qui font fortune en volant des bouteilles en verre pour rĂ©colter de l’air, les processus Ă  l’Ɠuvre pour truquer des photos ou encore les pratiques de marchĂ© noir dĂ©jĂ  mises en exergue dans son long-mĂ©trage prĂ©cĂ©dent.



En 2012, Au-delĂ  des collines (După dealuri) remporte le Prix du ScĂ©nario et un double Prix d’interprĂ©tation fĂ©minine pour les deux actrices principales, Cosmina Stratan et Cristina Flutur.

Ce film raconte l’histoire d’une amitiĂ© amoureuse. RentrĂ©e d’Allemagne, Alina reprend contact avec Voichita, une ancienne compagne d’orphelinat, devenue nonne dans un monastĂšre orthodoxe isolĂ©, dominĂ© par la figure du pope. Alina ne croit pas en Dieu, alors que Voichita ne voit plus d’autre issue que Lui. La force de leur amour entraĂźne Alina dans la dĂ©mesure sans que Voichita ne parvienne Ă  sortir de l’emprise thĂ©ologique qu’elle subit pour aider son amie, amante. Quitte Ă  ce qu’un drame sans retour se produise. Le plus cruel est que ce film s’inspire librement d’une affaire rĂ©elle d’exorcisme ayant eu lieu Ă  Tanacu, Moldavie, en juin 2005 : Maricica Irina Cornici, une religieuse atteinte de maladie mentale a subi des privations d’eau et de nourriture, immobilisĂ©e sur une croix en bois, par la volontĂ© du Pope Daniel Petre Corogeanu et de quatre religieuses souhaitant perpĂ©trer un exorcisme. Maricica a succombĂ© Ă  un arrĂȘt cardiaque et les 5 assassins ont Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  des peines de prison de 5 Ă  14 ans.



En 2016, c’est le Prix de la mise en scĂšne que rafle BaccalaurĂ©at (Bacalaureat), un film portant une nouvelle fois sur la corruption endĂ©mique que traverse le pays, et insistant sur le caractĂšre encore actuel de celle-ci. Romeo, mĂ©decin, est prĂȘt Ă  tout pour que sa fille Eliza puisse partir faire des Ă©tudes supĂ©rieures Ă  l’étranger, quitte Ă  monnayer son baccalaurĂ©at. Ce film a rĂ©uni plus de 50 000 spectateur·rice·s en France en une seule semaine, soit plus qu’en Roumanie sur la mĂȘme pĂ©riode : un exploit.



Vous l’aurez compris, le cinĂ©ma de Cristian Mungiu aborde des thĂ©matiques difficiles mais nĂ©cessaires. À travers des personnages Ă  la fois puissants et solitaires, des figures frĂȘles ballottĂ©es par les vents de l’Histoire et des alĂ©as politiques, le cinĂ©aste rĂ©ussit Ă  nous Ă©mouvoir et Ă  nous rĂ©volter contre les injustices policĂ©es que l’on finit par accepter. Des films Ă  regarder la tĂȘte reposĂ©e, pour en admirer le message, les acteur·rice·s et la photographie.


SOURCES

CHAPRON Joël, Conférence intitulée « Le cinéma roumain », Pessac, 15 décembre 2016.


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