La citoyenneté, plus qu’une affaire d’État ?
- Marie-Océane Decriem
- 10 avr. 2021
- 5 min de lecture
Renforcement du sentiment de citoyenneté nationale ou délitement progressif dans la mondialisation ? Atteintes à la citoyenneté inévitables et nécessité d’instaurer des actions palliatives d’éducation à celle-ci ? À dire vrai, saisir la teneur de la citoyenneté est complexe du fait des nombreux débats médiatiques et politiques qu’elle suscite. Essayons-nous à dessiner l’horizon de cette notion.
La citoyenneté, c’est quoi ?
La citoyenneté permet l’incarnation de l’individu dans la sphère publique et définit l’appartenance à une communauté politique. Il s’agit d’un statut juridique qui lui permet de participer à la vie civique et politique de son pays et qui est a priori irrévocable.
Elle donne des droits et exige des devoirs de la part de l’individu qui la détient, le·a citoyen·ne. Chaque droit implique en retour un devoir : la citoyenneté est avant tout une contrainte.
Parmi les devoirs, il y a le paiement de l’impôt, à la base du fonctionnement de la démocratie. Ainsi, la mission première du Parlement est de voter l’impôt. Il y a également l’impôt de sang, représentée par le service militaire puis par la Journée Défense et Citoyenneté aujourd’hui, qui consiste à s’enrôler dans l’armée de sa patrie pour la défendre en temps de guerre. Une contrainte, qui n’est pas formellement un devoir en France, est l’exercice du vote par le·a citoyen·ne, même si ce dernier dispose d’autres moyens pour exercer sa citoyenneté (adhésion à une association, participation à une manifestation, signature d’une pétition, etc.).

Les droits sont garantis par le pouvoir politique et ont été théorisés par Thomas Humphrey Marshall, un auteur britannique des années 1950. Il y a tout d’abord les droits civils nécessaires à la liberté individuelle, comme la liberté d’expression, qui sont défendus par les cours de justice. Il y a ensuite les droits politiques qui désignent le fait de pouvoir participer à l’exercice du pouvoir. Enfin, on y retrouve les droits sociaux-économiques liés au système éducatif et aux services sociaux, expressions du bien-être économique et de la sécurité, comme le droit au travail. Pour être un·e citoyen·ne à part entière, il faut avoir le droit d’ester en justice, pouvoir participer à l’exercice politique et avoir des conditions de vie matérielles décentes. Dans les années 1990, les études de genre vont y ajouter un quatrième élément, les droits sexuels et reproductifs permettant aux femmes de disposer de leur corps.
Une histoire en deux temps

Le concept de citoyenneté est né dans l’Antiquité, corollaire du développement de la cité d’Athènes (Grèce Antique, VIème siècle avant Jésus-Christ). Les réformes initiées par Clisthène en 508 avant Jésus-Christ consacrent l’isonomie, c’est-à-dire l’égalité devant la loi des riches et des pauvres. Les lois de Périclès vont au Vème siècle avant Jésus-Christ permettre aux pauvres de diriger la vie de la cité. Les citoyens se regroupent sur l’Ecclésia pour débattre des questions concernant la vie de la cité.
Au Ier et au IIIème siècle, le droit de cité est acquis par la naissance dans l’Empire Romain. En 49 avant Jésus-Christ, tous les hommes libres d’Italie sont considérés comme citoyens. L’Édit de Caracalla, en 212, fait citoyen tout homme libre de l’Empire.
La citoyenneté désigne dès lors la participation à la « res publica », la chose publique en latin, et s’incarne dans le principe d’égalité devant la loi. Cependant, ce mythe de l’origine est à nuancer. À Athènes, seuls 10% des Athéniens sont citoyens. Les étrangers, les femmes, les esclaves et les mineurs restent exclus de cette citoyenneté antique.

Les monarchies européennes transforment peu à peu les citoyens en sujets qui ne disposent d’aucun droit politique. Il faut dès lors attendre la Révolution Française et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) le 26 août 1789 pour voir le principe d’égalité et la notion de citoyenneté renaître. Progressivement, le lien entre nationalité et citoyenneté va se faire jour alors même que le suffrage reste restrictif. Il est d’abord censitaire, c’est-à-dire subordonné au paiement d’un impôt, puis universel mais masculin (1848), ce qui en exclut toutes les femmes.
Le suffrage devient universel en 1944 en France. La majorité électorale est ensuite abaissée de 21 à 18 ans en 1974. Les minorités obtiennent progressivement la citoyenneté, comme c’est le cas de la population afro-américaine aux États-Unis par le Civil Rights Act de 1964.
Les nouvelles formes de citoyenneté transnationales en débat

L’Union Européenne (UE) a introduit une citoyenneté européenne par le Traité de Maastricht (1992), une citoyenneté qui n’a eu de cesse d’être renforcée par les différents traités successifs. Le Traité d’Amsterdam (1997) affirme la protection des droits fondamentaux et offre le droit d’accès aux documents du Parlement. Le Traité de Nice (2001) insiste sur l’amélioration de la transparence des institutions et instaure une Charte des droits fondamentaux. Le Traité de Lisbonne (2009) met en place une politique européenne de liberté, sécurité et justice pour garantir la libre-circulation des personnes et la protection des citoyen·ne·s européens.
Toute personne disposant de la nationalité d’un pays membre de l’UE détient la citoyenneté européenne, une citoyenneté de superposition qui ne se substitue pas à la citoyenneté nationale. Il détient le droit de circuler et de résider librement dans n’importe quel État-membre, de vote et d’éligibilité aux élections municipales et européennes du pays où il réside, d’être protégé hors de l’UE par le consulat ou l’ambassade de n’importe quel État membre, de pétition au Parlement, d’accéder aux documents du Parlement Européen, du Conseil et de la Commission Européenne et le droit d’initiative citoyenne auprès de la Commission. Cependant, ses devoirs demeurent flous.
De même, une volonté d’agir au nom de la communauté mondiale pour répondre aux enjeux majeurs se jouant à l’échelle mondiale (notamment sur le plan climatique et environnemental) a fait apparaître la notion de citoyenneté mondiale à l’heure où les modes de transport et de communication paraissent ne plus se limiter à aucune frontière. Des revendications altermondialistes, en matière de protection des droits de l’Humain ou de dénonciation des conséquences sociales de la mondialisation ont vu le jour dans des manifestations contre les grands sommets mondiaux de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ou du G8. L’Association « Citoyens du monde » revendique aujourd’hui la reconnaissance de cette citoyenneté, arguant du commun qui unit les peuples habitant tous la Terre et du poids de cet outil pour rendre la mondialisation plus égalitaire. L’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO) a lancé un programme d’Éducation à la Citoyenneté Mondiale. Cette vidéo de 05 minutes explique l’enjeu de cette citoyenneté mondiale, qui se veut profondément solidaire.
Enfin d’aucuns arguent des besoins de mettre en avant une citoyenneté locale à travers des dispositifs de démocratie participative (budgets participatifs, conseils de quartiers et autres initiatives locales) qui permettent de replacer l’individu au cœur de son territoire. La notion de citoyenneté économique a également émergé avec la mise en place d’organisations de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) à l’image des coopératives où la gouvernance démocratique selon le principe « une personne, une voix » constitue la clé de voûte de leur fonctionnement.
Toutes ces nouvelles formes de citoyenneté sont des concepts en développement qui ne bénéficient pas toujours d’outils comme le droit de vote ou un pouvoir politique à même de les faire respecter. Le manque de contraintes les rend « douces » et dilue leur capacité d’action. Cependant, elles ont le mérite de questionner de nouveau la démocratie à l’heure où celle-ci est taxée de subir une crise, manifestée par la montée des taux d’abstention aux élections, et d’œuvrer en faveur d’un monde plus juste, transparent et solidaire face aux urgences climatiques et sociales du XXIème siècle. Elles nous rappellent que la citoyenneté n’est ni un repli sur soi ni une notion aux mains du pouvoir politique mais un outil dans les mains des citoyen·ne·s qui peuvent la faire vivre et la réinventer à leur guise. Juridique, sociale, morale, économique, transnationale : ses dimensions sont multiples et évolutives, mais le but premier reste celui de participer à la chose publique quelle qu’en soit son échelle.
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