👁️ La douleur au bout du pinceau : la peinture de Frida
- Arielle Laporte
- 7 nov. 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 nov. 2020
Magdalena Carmen Frida Khalo Carderón naît d’une mère mexicaine et d’un père d’origine germano-hongroise dans la maison familiale connue sous l’appellation Casa Azul (Maison Bleue) à Coyoacán, au Mexique, aujourd’hui devenue le Musée Frida Khalo.
Si sa vie fut marquée par de multiples souffrances, physiques et relationnelles – poliomyélite à 6 ans ; la collision de son bus avec un tramway à 18 ans endommageant durablement sa colonne vertébrale ; sa relation tumultueuse et volatile avec le peintre muraliste Diego Rivera ; sans oublier ses fausses couches, dont celle de 1932 lui inspirant son huile sur métal L’hôpital Henry Ford (Musée Dolores Olmedo) – elle lui fit don de la volonté de peindre.
Eclipsée durant des années par la renommée de son mari, elle est redécouverte dans les années 1970-80 avec la montée du féminisme. On pose alors un nouvel œil sur les sujets de son art : son entourage familial et amical, ses idées spirituelles (à travers des natures mortes notamment) et surtout des autoportraits dépeignant ses douleurs physiques, ses blessures ainsi que ses origines.
De multiples inspirations marquent sa peinture : l’art populaire, mais aussi différents artistes comme Amedeo Modigliani, El Greco, Henri Rousseau. Elle s’intéresse aux cultures préhispaniques sous l’influence de Diego, alors collectionneur d’objets issus de ces cultures anciennes. Elle est aussi associée au surréalisme, notamment par ses rencontres avec André Breton ou encore Marcel Duchamp, mais également par la découverte qu’elle fait des œuvres de Salvador Dalí à New York.
Cependant, elle dit elle-même qu’elle « n’a jamais peint de rêves, mais [sa] propre réalité ». Malgré ces influences artistiques, ce sont ainsi les épisodes marquants de sa propre vie qui apparaissent comme sa principale impulsion à peindre. En témoignent ses autoportraits tels que La colonne brisée (1944, huile sur bois, Musée Dolores Almedo, Mexico) ou encore Les deux Fridas (1939, Musée d’Art Moderne, Mexico).
Une Frida en deux

La toile présente deux Fridas assises l’une à côté de l’autre sur un banc tressé aux couleurs verdâtres. Elles se détachent d’un fond nuageux tumultueux, au milieu d’un espace simple et vide, face au spectateur. La Frida de gauche est vêtue d’une robe blanche de style victorien et tient la main de la Frida de droite, qui porte un ensemble traditionnel des femmes indigènes d’Oaxaca, dans la région de Mexico, dont serait issue sa mère. Elle affirme ainsi son appartenance à la culture de son pays. Cette même représentation tient dans sa main gauche une amulette présentant un portrait de Diego Rivera enfant, reliée à une artère remontant le long du bras de Frida, jusqu’à son cœur, dont une autre artère traverse la toile jusqu’au cœur et la main de la Frida opposée, qui elle, tente de stopper le flux de sang qui s’en échappe à l’aide d’une paire de ciseaux chirurgicaux, mais sans parvenir à garder sa robe intacte. Les tâches de sang formées font écho aux fleurs rouges qui décorent le bas de la robe. Elles ont toutes deux une expression et une coiffure similaires, quoiqu’une peau plus pâle, renforcé par la blancheur de la robe, se dégage de la première Frida.
Cette toile fait à la fois suite et écho au premier divorce de Frida et Diego : la Frida Tehuana serait la femme aimée par le peintre espagnol, tandis que la Frida Victorienne serait celle dont il n’est plus amoureux. Une atmosphère inquiétante et douloureuse est perceptible
dans la toile, notamment à travers le fond nuageux, rappelant la peinture maniériste d’El Greco (Laocoön, 1610-14, National Gallery of Art, Washington) ; comme la mise en valeur du cœur des deux Fridas, en organe brisé par l’amour et organe auparavant sacrifié pour les dieux aztèques. Le vide désertique qui les entoure amène également à penser aux paysages de Dalí (La Tentation de saint Antoine, 1946, Musée des Beaux-Arts de Bruxelles), ne laissant voir que la désolation et la solitude entraînées par la rupture, comme saint Antoine devant affronter les tentations qui se présentent à lui sans possibilité de s’en détourner. Frida écrit elle-même que Les deux Fridas représentent « [sa] solitude », à travers deux entités différentes, européenne et mexicaine, mais liées, se soutenant mutuellement. Elle trouve en elle-même la ressource nécessaire à sa guérison.
Ce double autoportrait de l’artiste mexicaine donne un aperçu de sa psyché ainsi que des échos audibles dans son œuvre.
Film-conseil : Le biopic Frida de Julie TAYMOR, réalisé en 2002.
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