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La montée de l’abstention marque-t-elle la fin de la participation électorale ?

  • Photo du rédacteur: Marie-Océane Decriem
    Marie-Océane Decriem
  • 14 août 2021
  • 7 min de lecture

Les élections départementales et régionales de juin 2021 ont été marquées par des taux d’abstention historiquement élevés : 66,7% pour le premier tour le 20 juin et 64,3% pour le second tour le 27 juin. 2 électeurs sur 3 ne se sont pas rendus dans leur bureau de vote pour exprimer leur choix. Cette montée significative de l’abstention, que l’on constate pour toutes les élections quel que soit leur échelle territoriale, semble être le symptôme d’une crise de la démocratie représentative et d’une défiance de plus en plus importante des citoyen·ne·s envers les élu·e·s censé·e·s les représenter. À quelques mois d’une élection présidentielle incertaine, étudions ensemble les faits et les causes de cette tendance à l’aide d’études de sciences sociales qui se sont penchées sur la question.


État des lieux

Sur le long-terme, l’abstention progresse au détriment de la participation, et ce surtout depuis les années 1980. L’abstention pose un problème de légitimité important ; les élu·e·s perdent en légitimité car ils ne représentent plus que la minorité de citoyen·ne·s qui ont voté pour eux·elles. L’élection présidentielle semble jusqu’à présent la seule élection épargnée par cette montée de l’abstention du fait d’une forte mobilisation de l’électorat et d’une forte personnalisation. Pour les autres élections, le vote devient de plus en plus conjoncturel : tout dépend des enjeux de l’élection. Cependant, ce phénomène n’est pas propre à la France selon Pascal DELWIT, qui a étudié les élections législatives en Europe, et se retrouve notamment en Suisse. La tendance dans les pays occidentaux est à la moindre participation mais l’abstention n’a rien d’irrémédiable : les électeur·rice·s retournent aux urnes lorsque les enjeux les intéressent.


Explications

Les explications socioéconomiques classiques de la participation électorale et de l’abstention prennent en compte les variables suivantes, étudiées par diverses études scientifiques en France comme à l’international :

  • Sexe. Les hommes sont plus abstentionnistes que les femmes.

  • Âge. Selon Anne MUXEL, les jeunes votent moins car ils ont un rapport au vote distancié lorsqu’ils traversent la période de recherche d’eux·elles-mêmes. Le rapport à la politique se structure bien souvent en devenant parent ou propriétaire. De plus, selon Mark FRANKLIN, si l’on vote régulièrement dès nos 18 ans, on a plus de chance de rester des votant·e·s assidu·e·s jusqu’à notre mort.

  • Niveau de diplôme. Moins on a de diplôme, plus on a de chance d’être abstentionniste.

  • Classe sociale. Les ouvriers sont plus souvent abstentionnistes que les cadres.

  • Ressources économiques.

  • Intégration sociale (études d’Alain LANCELOT). Plus l’individu est inséré dans le tissu social, plus il a des interactions sociales et plus il va se déplacer pour voter. Ainsi, les chômeur·se·s isolé·e·s sont une population très fortement abstentionniste. Les contrats CDD et intérimaires votent moins que les fonctionnaires ou les contrats CDI, ces derniers ayant davantage de relations stables avec leurs collègues et par conséquence de discussions incluant la question du vote.

  • Statut d’habitation. Les propriétaires votent davantage que les locataires, notamment pour les élections locales. Plus on habite depuis longtemps dans une commune, plus on va voter et participer à la vie politique de celle-ci. De plus, la taille de la commune influe également : plus elle est petite, plus il y aura une participation élevée ; ce qui entraîne parfois de nombreux votes blancs (les habitant·e·s ont subi le contrôle social les poussant à aller voter mais n’arrivent pas ou ne veulent pas choisir).


Céline BRACONNIER et Jean-Yves DORMAGEN ont enquêté pendant une dizaine d’années dans un quartier nord de la banlieue parisienne, la Cité des Cosmonautes. Leur objectif était de comprendre le rapport à la politique de ce quartier, extrêmement participatif à la fin des années 1970 et extrêmement abstentionniste depuis le début des années 2000.

Dans La démocratie de l’abstention (2007), ils vont mettre en évidence le poids des réseaux individuels. On ne vote pas seul·e, mais poussé·e par notre famille, nos ami·e·s, nos collègues, notre environnement social. Cela rejoint les travaux d’Alain LANCELOT sur la variable de l’intégration sociale, précédemment cités. Les réseaux de discussion pèsent énormément sur notre participation aux élections. Plus la pression des pairs est forte, plus les individus votent : la Cité des Cosmonautes a enregistré un taux de participation exceptionnel à l’élection présidentielle de 2002, pour faire barrage à Jean-Marie Le Pen et au Front National. Depuis, la pression sociale se délite, notamment pour les élections mineures telles que les européennes ou les régionales.

Ils soulignent également un phénomène de mal-inscription ; lorsqu’une personne n’est pas inscrite où elle réside car elle n’a pas fait les démarches de changement d’adresse et de réinscription. C’est le cas de nombreux·ses jeunes qui restent inscrit·e·s au bureau de vote du lieu de résidence de leurs parents. Dans ce cas-là, on renonce bien souvent à voter car l’acte demande plus de temps et a un coût, celui du déplacement. Ce phénomène est particulièrement fort dans les quartiers populaires.

Enfin, les inégalités sociales liées aux variables socioéconomiques présentées ci-dessus expliquent également le peu de participation aux élections dans les quartiers populaires, entraînant un paradoxe : les milieux populaires constituent une majorité sociale mais une minorité électorale, leur voix n’est plus entendue.


Mais au juste, pourquoi vote-t-on ?

Malgré la montée de l’abstention, le vote reste l’acte le plus pratiqué, le plus répandu pour participer à la vie politique de son pays : 15 millions d’électeur·rice·s se sont déplacé·e·s pour les élections départementales et régionales de juin 2021 lorsqu’un peu moins de 4 millions de personnes s’étaient rendues aux marches républicaines du 10 et 11 janvier 2015 en soutien aux victimes des attentats de Charlie Hebdo. L’élection présidentielle de 2017 a quant à elle mobilisé plus de 37 millions de personnes. Les élections, bien que marquées par un phénomène d’abstention en constante augmentation, conserve une force de frappe non négligeable.


Voter peut être considéré comme un acte de participation contrainte.

En effet, les candidats n’ont pas été désignés par le corps électoral, mais bien par leurs partis politiques. Parfois, le choix électoral ne nous convient pas, notre parti n’est plus présent, et l’on ne peut choisir que de voter blanc ou nul (votes non-comptabilisés) pour exprimer cette opinion (11,52% de votes blancs et nuls au second tour des élections présidentielles 2017 opposant Emmanuel Macron et Marine Le Pen).

On renvoie souvent l’image du vote comme devoir envers les autres membres de notre société, sous-entendant de fait que ce devoir serait non-rempli par les abstentionnistes. Cette idée de devoir impose un contrôle social très fort : dans les petits collectifs, comme dans les villages par exemple, le coût social de l’abstention est très fort car tout le monde (et particulièrement les figures d’autorité telles que le maire, le médecin, le notaire, etc.) sait que l’on n’est pas allé voter. Dans les grandes villes, où l’anonymat est plus fort, l’abstention l’est également.


Dans les années 1950, l’économiste Anthony DOWNS va réfléchir à la rationalité du vote. Il va appréhender l’électeur·rice en tant qu’acteur·rice économique qui a des intérêts et raisonne en termes de bénéfices et de coûts afin de mettre en évidence le paradoxe du vote.

V = P x (B) – C


V pour Vote

P pour Probabilité de faire la différence par son vote

B pour Bénéfice du vote

C pour Coût du vote (temps consacré à l’acte)


Les bénéfices ne dépendent pas des électeur·rice·s mais du respect de leurs promesses par les candidat·e·s élu·e·s. Les coûts, quant à eux, sont supportés entièrement par les électeur·rice·s. Il y a incertitude sur les bénéfices mais certitude sur les coûts ; il est donc plus rationnel de s’abstenir, d’autant plus que le poids de notre vote face à des millions d’autres votes est mineur. Si les électeurs étaient parfaitement rationnels, ils seraient abstentionnistes. Pourtant, des millions de personnes se déplacent chaque année pour aller voter comme nous l’avons évoqué. Comment expliquer cela ? D’autres études sont venues, après DOWNS, lever cette contradiction apparente.


Démonter l’irrationalité supposée du vote : collectif, contexte et revendication

Nous l’avons déjà évoqué, le collectif pèse lourdement sur le choix individuel. Les réseaux sociaux dans lequel un individu évolue peuvent lui reprocher son abstention.

De plus, certains individus font prévaloir le sens du devoir face à la sacralité de l’acte de vote.

L’analyse de DOWNS est individualiste, elle ne suffit pas à comprendre les mécanismes de vote ou d’abstention mais permet d’expliquer certaines différences de participation. Plus une circonscription est grande, moins il y a de participation puisque le poids d’un vote est moins déterminant. Un vote le week-end coûte plus à un individu qu’un vote en semaine, tandis qu’un vote par voie postale minore le coût. Cette analyse en termes de déterminismes et de rationalité laisse peu de place au politique et au contexte, pourtant tout aussi déterminant.


Des facteurs ponctuels et conjoncturels entrent également en ligne de compte puisqu’aucune élection ne se ressemble. Les médias, les partis, les débats, les enjeux sont autant de facteurs qui peuvent inciter à voter ou à s’abstenir. La mobilisation dépend de la pertinence de la question posée et de l’intérêt suscité auprès du grand public. Les modes de scrutins ont également un impact, un mode de scrutin proportionnel incite davantage à voter puisque chaque parti ayant récolté des suffrages peut se voir attribuer une représentation.


Parfois, l’abstention constitue également un message. En 2000, Jérôme JAFFRÉ et Anne MUXEL ont élaboré la théorie des abstentionnistes dans le jeu politique et hors du jeu politique. Les abstentionnistes hors du jeu politique ne votent pas en raison des facteurs explicatifs présentés ci-dessus, bien souvent des déterminants sociaux. Les abstentionnistes dans le jeu politique utilisent, quant à eux, l’abstention comme un moyen d’expression leur permettant d’envoyer un message de refus de choix face à une offre politique qui ne leur convient pas : en somme, l’abstention se rajoute aux votes blancs et nuls en tant que moyen de ne pas choisir mais d’exprimer quand même son opinion.


Quoi qu’il en soit, il ne faut pas oublier que le vote n’est qu’un moyen parmi d’autres d’action et d’expression politique. Il demeure important, mais ne constitue pas la panacée démocratique que certain·e·s cherchent à lui octroyer. Un taux d’abstention croissant peut se coupler à de nombreuses autres formes de participation, parfois particulièrement vivaces, qui démontrent que les citoyen·ne·s n’ont pas fini de s’intéresser à la politique mais rejettent plutôt un système en lequel iels ne croient plus.



ⓒ Image de couverture Jacques AZAM

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