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Le Cimetière Joyeux de Săpânţa

  • Photo du rédacteur: Marie-Océane Decriem
    Marie-Océane Decriem
  • 21 nov. 2020
  • 4 min de lecture

Au cœur de la Roumanie traditionnelle, Stan Ioan Pătras a conçu l’œuvre de sa vie. Un Cimetière Joyeux qui constitue aujourd’hui une des attractions touristiques majeure de la région et un centre d’intérêt pour les amoureux·ses de l’art et des coutumes populaires.


Une tombe du Cimetière Joyeux de Săpânţa
© Photographie personnelle

À moins d’une demi-heure de route de Sighetu Marmaţiei, la petite commune de Săpânţa recèle un véritable joyau. Cette pierre précieuse prend la forme d’un projet artistique coloré et déroutant dans cette région aux confins septentrionaux de la Roumanie, les Maramureş, encore très marquée par le travail agricole, les traditions et le poids de la religion orthodoxe. Outre son église traditionnelle en bois et son vieux monastère, les touristes y affluent pour visiter… un cimetière.


C’est en effet l’oxymorique Cimetière Joyeux qui s’étend au cœur du village, aux pieds de l’église orthodoxe de la Naissance de la Vierge Marie. Son originalité : la mort y prête à sourire, à rire, à se balader, à se divertir et non à se lamenter. L’allure est loin d’y être sinistre puisqu’il s’agit d’un réel lieu de vie où l’on chahute et déambule librement. Y rester coincé·e la nuit apparaîtrait même davantage comme une chance que comme un mauvais coup du sort.


Photographie de l'église et du Cimetière Joyeux de Săpânţa
© Photographie personnelle

Les petites échoppes d’artisans traditionnels alignées le long de la rue et la taille de son portail d’entrée rendent le cimetière impossible à dissimuler aux regards même les moins avertis. Après s’être acquitté·e de son billet d’entrée, le·a visiteur·se se retrouve face à autant de flèches s’élevant vers le ciel, les deux nuances de bleu – celle de la stèle tombale et celle du ciel – opérant une jonction quasi métaphysique.


Les villageois enterrés ici nous accueillent dans leurs sublimes ultimes demeures soigneusement alignées dans un jardin fleuri, à la manière de nos cimetières occidentaux mais de manière plus vive et pétillante. Ils reposent sous des croix de bois sculptés, décorées, taillées et peintes à l’aide de multiples couleurs. Ces dernières sont issues de pigments naturels dont le bleu, représentant l’espoir et la liberté, est devenu l’emblème. À chaque couleur, sa signification : le vert pour la vie, le jaune pour la fécondité, le rouge pour la passion et le noir pour la mort.

Les stèles, hautes et étroites, sont réalisées dans du bois de chêne et surmontées de petites croix coiffées à la manière des portails traditionnels en bois de la région. Elles sont décorées à l’aide de motifs géométriques, floraux, animaliers ou folkloriques et représentent la singularité de chaque destinée humaine. En effet, si toutes les stèles tombales se ressemblent par leurs proportions et leur alignement, elles sont loin d’être identiques.

Chacune comporte dans sa partie supérieure un dessin naïf relatant le métier exercé par la personne décédée ou les circonstances de sa mort, parfois tragique. Dans la partie inférieure, un court poème relate de manière humoristique la vie du défunt, en insistant sur les traits saillants de sa personnalité. Elle peut être décorée sur l’une ou les deux faces selon les moyens de la famille.


Une tombe du Cimetière Joyeux de Săpânţa
© Photographie personnelle

Ce cimetière et ces ultimes hommages, Săpânţa les doit à Stan Ioan Pătras, un artisan local qui a commencé son œuvre en 1935. Il sculpte une première stèle pour renouer avec d’anciennes traditions roumaines qui appréhendaient la mort comme un instant joyeux et festif, une étape supplémentaire menant vers l’immortalité de l’âme. Il s’inspire également des veillées funéraires traditionnelles où les proches discutent en festoyant de la vie de leur ami·e parti·e trop tôt. Depuis son décès en 1977, il repose sous une croix qu’il s’était lui-même confectionnée au milieu de son projet avant-gardiste que certains qualifieraient aujourd’hui de land-art et qui est la juste expression d’un art populaire novateur. Depuis, son apprenti, Dumitru Pop Tincu, perpétue la tradition et ouvre leur atelier de menuisier aux yeux des curieux·ses, juste en retrait du cimetière, dans une rue plus tranquille.


Tant le village que le cimetière semblent figés dans le temps et dérangés par les déambulations des visiteur·ses toujours plus nombreux·ses. Le nombre de croix commandées laisse à présager d’une extension du cimetière autour d’une église désormais rénovée. S’y promener nous amène à considérer chaque stèle, chaque dessin et le soin accordé à chaque création. Si « le diable est dans les détails » comme le pensait Friedrich Nietzsche, nul doute qu’il ne côtoie pas pour autant ces morts-là qui peuvent reposer en paix, le sourire aux lèvres d’être bien enterrés. Même pour celui ou celle qui ne comprend pas le roumain et ne peut saisir l’humour des épitaphes sans l’aide d’un guide natif, nul doute que la visite laissera une bonne impression.


Cimetière Joyeux de Săpânţa
© Photographie personnelle

La vision catholique occidentale de la mort qui s’est imposée au fil des siècles nous la présente comme une source d’angoisses qu’il faut redouter et l’a habillée de sombres couleurs propices au deuil. Aux confins de l’Europe, le Cimetière Joyeux est une ode colorée en faveur d’un autre rapport à la mort, à la fois impassible et dédramatisé. Devant la beauté des multiples apparats des 800 stèles tombales, sa visite peut défier toutes nos peurs et devenir source à la fois de joie, d’émerveillement et d’espérance.


Pari réussi pour Stan Ioan Pătras qui a suivi à merveille la devise épicurienne « la mort n’est rien pour nous », imposant de ne pas renoncer au bonheur par crainte de la mort. Le Cimetière Joyeux atteint le second rang mondial en matière de patrimoine funéraire, juste après la solennelle Vallée des Rois égyptienne. Il dynamise le tourisme local – comme l’atteste le nombre de pensions et d’échoppes artisanales présentes à Săpânţa. Il attire le regard et attise les curiosités, présentant une porte d’entrée intéressante pour découvrir une région et un pays encore largement méconnus du public ouest-européen.


N’hésitez pas à consulter cette vidéo de « Touchons du bois » pour une courte rencontre avec Dumitru Pop Tincu et la lecture en français de deux épitaphes.


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