👁️ Nadia Comăneci, la petite fée de Montréal devenue gymnaste du siècle
- Marie-Océane Decriem
- 19 juin 2021
- 5 min de lecture
Obtenant pour la première fois la note parfaite de 10 en gymnastique artistique lors d’une compétition olympique, Nadia Comăneci devient, à seulement quatorze ans, l’égérie d’une discipline et d’un pays méconnus du grand public. Hissée au rang d’icône du communisme d’État de Nicolae Ceaușescu, elle vivra 13 années d’enfermement et de pressions avant de quitter le pays illégalement peu de temps avant la chute du régime.

Nadia Elena Comăneci est née à Onești (județ de Bacău), une petite commune industrielle de l’Est de la Roumanie, le 12 novembre 1961. Elle porte dans son prénom – comme l’écrivit presque prophétiquement le poète André Breton dans Nadja (1928) « Nadja, parce qu’en russe c’est le commencement du mot espérance, et parce que ce n’en est que le commencement » – les espoirs de ses parents, Gheorghe et Stefania-Alexandrina Comăneci. Elle commence la gymnastique à l’école maternelle avant d’être repérée par le couple d’entraîneurs hongrois Béla et Márta Károlyi dès l’âge de 7 ans.
À 9 ans, elle remporte le championnat national junior et devient la plus jeune championne de cet événement. Ses entraînements sont extrêmement rigoureux, elle passe jusqu’à sept-huit heures par jour à perfectionner ses enchaînements et ses figures. L’année suivante, elle participe à sa première compétition internationale, opposant la Roumanie à la Yougoslavie, et remporte tous les titres. Elle remporte par la suite plusieurs championnats nationaux ainsi que des compétitions internationales opposant la Roumanie à la Hongrie, la Pologne ou encore l’Italie. Elle remporte le Junior Friendship Tournament à l’âge de onze ans, une compétition phare de gymnastique junior, puis les championnats d’Europe de gymnastique de 1975 à Skien en Norvège. L’United Press International lui décerne alors le titre de Meilleure athlète de l’année 1975. Nadia Comăneci est désormais sous le feu des projecteurs et son ascension semble inéluctable.
En 1976, elle reçoit la note de 10 au saut de cheval et aux exercices au sol à l’American Cup de New York et au saut de cheval et aux barres asymétriques à la Chunichi Cup au Japon. Mais ce sont les Jeux Olympiques d’Été de Montréal qui vont la faire entrer dans la légende. Son enchaînement aux barres asymétriques, terminé par une sortie en saut périlleux avant avec demi-tour, lui fait obtenir la note de 10, une première en compétition olympique – une performance tellement rare que les chiffres du tableau d’affichage indiquent « 1.00 » au lieu de « 10.0 », incapable informatiquement de légitimer la prouesse qui vient d’avoir lieu. Une performance qu’elle réitère à sept reprises lors de ces Jeux Olympiques, remportant trois médailles d’or (poutre, barres asymétriques, concours général individuel) et devenant ainsi la première gymnaste de Roumanie à remporter le titre au classement général des Jeux Olympiques avec la note de 79,275 points sur un total de 80 possibles. Elle est également, et restera, la plus jeune athlète à avoir remporté ce titre, ce dernier record étant impossible à battre puisqu’il est désormais obligatoire d’avoir seize ans dans l’année pour participer aux Jeux Olympiques. Elle reçoit le titre de Meilleure athlète de l’année 1976 de la part de l’Associated Press et de l’United Press International ainsi que le titre de Héros du travail socialiste en Roumanie. Nadia Comăneci a en effet réussi le double exploit de dérober le titre olympique et la prédominance des Soviétiques dans le champ de la gymnastique féminine – face à ses rivales Lyudmilla Touritchev, Nellie Kim et Olga Korbut - tout en promouvant son pays et son régime aux yeux des Occidentaux.
En 1977, un incident diplomatique lié à la Guerre Froide empêche les gymnastes roumaines de terminer le Championnat d’Europe ; pourtant Nadia Comăneci avait toutes les chances de conserver son titre de championne. S’ensuit une période de remise en question pour la jeune adolescente, qui se voit séparée de ses entraîneurs par la Fédération roumaine de gymnastique – au motif de leur nationalité hongroise ou d’intelligence avec l’étranger - et qui assiste au naufrage du mariage de ses parents. Elle doit affronter le poids de son incroyable popularité et les espoirs de tout un peuple, si jeune. Dans le même temps, son corps d’enfant devient celui d’une jeune femme. Trop de changements, en si peu de temps. Aux championnats du monde, elle tombe aux barres asymétriques. Cet enchaînement de faiblesses lui permettra paradoxalement de retourner s’entraîner auprès du couple Károlyi. Elle remporte plusieurs titres européens et mondiaux en 1979 et en 1980, avant de se retirer sportivement en 1981, usée par la sévérité des entraînements et la pression exercée par le régime – incluant une liaison forcée avec le fils benjamin du dictateur, Nicu Ceaușescu. Mais sa retraite sportive n’atténue en rien le contrôle de plus en plus sévère dont elle est l’objet, notamment après la fuite des Károlyi aux États-Unis. Elle est autorisée à effectuer des séjours sportifs à Cuba et à Moscou avant d’être interdite de toute sortie du territoire et assignée à l’entraînement des gymnastes juniors roumaines. C’est quelques semaines avant la chute du régime, en novembre 1989, qu’elle fuit clandestinement son pays natal, à pied, dans le froid, pour rejoindre les États-Unis et mener sa propre vie.
Elle s’installe en Oklahoma avec son époux Bart Conner, un gymnaste américain rencontré lors des Jeux Olympiques de Montréal en 1976. Leur cérémonie de mariage se tient en avril 1996 au sein du Palais du Parlement, symbole de la démesure de ce même Nicolae Ceaușescu qui avait instrumentalisé politiquement la réussite d’une jeune Roumaine pour adoucir l’image d’un pays cadenassé, sans libertés, aux yeux des Occidentaux. Elle publie en 2003 son autobiographie, Letters to a Young Gymnast [Lettres à une jeune gymnaste], dans laquelle elle revient sur sa carrière sportive et donne naissance à son fils, Dylan-Paul en 2006. Nadia Comăneci n’a jamais oublié son pays natal. Elle a aidé à la mise en place d’une clinique pour enfants malades à Bucarest, d’un centre sportif pour enfants défavorisé·e·s et reste active dans le milieu de la gymnastique roumaine – elle occupe, entre autres, le titre de présidente honoraire de la Fédération roumaine de Gymnastique. Elle porte à l’international, aux États-Unis et en Roumanie la voix de la gymnastique et de ses bienfaits physiques. Elle qui remporta neuf médailles aux Jeux Olympiques de 1976 et de 1980 et qui grandit depuis, reste pourtant étroitement identifiée à sa silhouette juvénile (1,55 mètres, 40 kg), incrédule, après ce premier 10 parfait, à Montréal.
Sources
BATTIN Guillaume, « Nadia Comaneci : la première championne olympique à 10/10 », Les premières, France Inter, 25 juillet 2020.
BOSSARD Marie et RICHARD Jean-Alphonse, « Nadia Comaneci : une gymnaste surdouée privée du droit de sourire », RTL, 23 janvier 2021.
BOTTON Guillaume et LUYAT Laurent, Les coups du sport, Ramsay Illustre, 2013.
LAFON Lola, La petite communiste qui ne souriait jamais, Actes Sud, 2014.
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